RENCONTRE D’OSTHOFFEN : 15-17 juillet 2015.
« Dans l’amitié de Jacques et Raïssa Maritain ».
« De tout cet amour dispersé partout où nous avons passé que reste-t-il ? Une pierre tombale dans un petit cimetière ?
Tout l’amour jeté depuis des siècles sur les routes du temps, se peut-il qu’il soit à jamais perdu ? » (Carnet de notes, 1965)
Il est difficile de retranscrire fidèlement un événement aussi fort que fut cette rencontre au cœur de l’été. En effet, durant trois jours – les 15, 16 et 17 juillet – dans le très beau cadre du château d’Osthoffen, près de Strasbourg, nous avons réellement vécu dans le sentiment d’une amitié partagée avec Jacques et Raïssa. Organisée magistralement par Georges Cassagne, fécondée par les intuitions de Claire Bressolette, mûrie, relayée, dynamisée par Michel Fourcade ; cette rencontre a tenu toutes ses promesses, et même au-delà !
L’objectif n’était pas d’organiser un colloque classique – aussi intéressant que cela puisse l’être – mais de réunir des amis des Maritain pour un temps de partage et de convivialité où chacun pourrait trouver sa place : qu’il ait déjà avancé dans l’œuvre de nos maîtres – mais est-on sûr de l’endroit où nous sommes parvenus dans une pensée si profonde et si fine ? – ou qu’il soit débutant, voire simplement intéressé. Une cinquantaine de personnes, venues de Roumanie, d’Italie, d’Allemagne, des quatre coins de la France, s’était donnée rendez-vous en plaine d’Alsace, près de Kolbsheim, où reposent Jacques et Raïssa. Les interventions prévues sur un rythme soutenu et exigeant, nous ont permis d’aller à la rencontre de trois grands aspects de la philosophie de Jacques et de la poésie de Raïssa : le bien commun et ses nécessités ; la poésie, l’intuition créatrice et la création artistique ; la spiritualité. Chaque intervenant disposait de 30 à 40 minutes pour développer son thème selon son style propre et son charisme : de la philosophie comme « style » (Claire Bressolette) à l’importance fondamentale de « l’exister avec » cœur de la démarche spirituelle et humaine des Maritain (Antoine Mourges), en n’oubliant pas l’importance donnée peu à peu à une nouvelle approche des droits de l’homme (Alin Tat). Puis, le lendemain 16 juillet, la distinction bien éclairée entre le supraconscient de l’esprit et l’inconscient communément admis (Louis Chamming’s), et l’amitié, le dialogue « aux frontières de la poésie » entre Jacques et Raïssa, et Marc et Bella Chagall (Martine Braun-Stanesco). Chaque causerie était suivie d’un dialogue, de questions, d’un débat souvent passionnant qui se poursuivait ensuite pendant repas et pauses. D’autres intervenants ont préféré une option plus directement participative : pour nous inviter à réfléchir sur le bien commun aujourd’hui exploré sur toute une série de pistes (Franck Damour), ou sur le projet cinématographique d’un film sur « les grandes amitiés » (Clément Burali).
Un autre moment de grâce a été constitué par la visite, ce même jour, du Cercle Maritain de Kolbsheim, où travaillèrent et accueillirent les chercheurs pendant tant d’années, nos chers René et Dominique Mougel. Il restait des ouvrages autour des Maritain qu’il fut possible de se procurer dans une atmosphère à la fois chaleureuse, bienveillante et sérieuse, grâce à notre trésorier bénévole Joseph Fischer. Puis, autour de la tombe des Maritain et de Frère Heinz Schmitz, retentiront longtemps dans nos cœurs les beaux chants roumains, les extraits du Prier quinze jours lus par Jean Daniel son auteur – le seul parmi nous à avoir rencontré Jacques – notre recueillement et nos prières où nous portions nos amis absents. Instant royal, impression de former un petit troupeau fidèle et aimant : « Seigneur donne nous des saints de l’intelligence » nous dit le père dominicain Philippe Verdin. L’épilogue de cette journée fut constitué par une méditation sur la spiritualité des Maritain (Florian Michel). Trois communications ont clos ces journées, le lendemain : autour de Maritain, Fondane (poète et philosophe roumain) et Olivier Lacombe – « Trois voyous » (Benjamin Guérin) ; de la « révolution poétique moderne » et de sa dimension ontologique (David Bugne) et enfin de la relation entre le pauvre Maurice Sachs et les Maritain « aimer jusqu’au bout » (Sylvain Guéna) pendant laquelle, symboliquement, le ciel si bleu jusque là sembla verser des torrents de larmes…
La soirée du 16 juillet était consacrée à une manifestation artistique grâce à un spectacle ouvert à tous de lecture de textes de Jacques par Simon Eine, sociétaire honoraire de la Comédie française, et de chants en plusieurs langues et musiques (guitare et percussions) par Roula Safar, diplômée du Conservatoire de Boulogne. Benjamin Guérin et son épouse nous présentèrent leur travail de céramiste et Franck Damour la revue amie Nunc, qu’il codirige.
Davantage encore que ces interventions, c’est le climat général qui a été marquant : une recherche intellectuelle en climat fraternel dans un bain spirituel constant. Comment oublier – les cloches sonnant au loin – la décision spontanée prise par notre communauté, de célébrer l’Angelus, en pleine nature ! Puis ces repas pris ensemble en toute gaieté, l’humour, et ces chants roumains puis français accompagnant notre premier repas du soir. Cette aide apportée par Agathe et Bénédicte au service de tous, cet accueil et cet hébergement généreusement partagé, ces gestes de bonté dispersés aux quatre vents, ces paroles d’amour dont on aime à croire, à la suite de Jacques, qu’elles se conserveront pour toujours dans la mémoire des anges.
Espérons de tout cœur que ces journées, lointaines et humbles héritières des rencontres de Kolbsheim désirées par Maritain, se perpétueront à l’avenir.
Sylvain Guéna